Il est 10 heures, la queue n’est pas encore d’envergure déraisonnable. Dans le métier, il faut être capable de se lever tôt. Tous le savent et sont ici pour la même raison : la chasse au scoop.
On paye son billet, seize euros, « y s’embêtent pas quand-même ». Certes, l’Aquarium n’est pas à la portée de tout un chacun, et c’est tant mieux : dans ce monde sans pitié du reportage en milieu hostile, il faut être déterminé pour avoir une chance de s’en sortir. La visite commence par quelques bassins sans d’autre intérêt que celui de susciter le désir de voir les suivants. Point n’est besoin pour l’heure de sortir le matériel. La patience est qualité maîtresse pour qui aspire à jouer dans la cour des Grands.
Gérer la concurrence
On arrive — enfin — aux premières touches d’exotisme. On y retrouve les pros, les vrais, qui savent déterminer la pertinence d’un sujet. A partir de là, un bon jeu de coudes devient la compétence majeure pour prétendre à des clichés de qualité. La loi du plus fort. Heureusement, les amateurs sont restés en arrière, absorbés par la lecture solennelle de chaque petit panonceau détaillant les habitudes alimentaires du mérou indien ou révélant les surprenantes méthodes reproductives du barbot à moustaches. Une aubaine que le groupe de tête, empli de gratitude envers les excentricités du barbot, s’empresse de mettre à profit en canardant les poulpes médusés par tant de bienveillance à leur égard. Quant aux moules, fortes de leur immobilisme intransigeant, elles manifestent leur indifférence à la célébrité en mettant un point d’honneur à n’exprimer aucune émotion.
Tenir jusqu’au bout
S’enchaînent alors les salles, peuplées de magnifiques specimens des espèces les plus rares, dont les couleurs chatoyantes ne chatoyent plus, affadies par la frénésie crépitante des appareils sophistiqués que ces aventuriers chevronnés arborent pour intimider l’adversaire. Certains utilisent même le mode rafale. Les moins prévoyants auront oublié d’emporter une carte mémoire de rechange, et doivent alors, s’ils veulent tenir jusqu’au bout, faire un choix déterminant pour l’avenir de leur carrière : sacrifier le portrait du poisson-clown (quel regard saisissant tout de même) OU mémé qui souffle ses bougies d’anniversaire (peut-être le dernier).
La fin du parcours réserve son lot de sensations fortes en proposant une expérience « 360 degrés », en immersion totale. De l’eau partout, au-dessus, en-dessous… Un sentiment de communion absolue envahit alors l’assemblée qui, le souffle court, en oublie presque le but de l’expédition. Seuls deux ou trois artistes, affutés à l’extrême par une longue expérience de ce type d’excursions, en profitent pour prendre LA photo que les autres n’auront pas, celle qui deviendra à coup sûr leur chef d’œuvre et fera leur renommée sur Picasa.
Après cette apnée hors du temps, le morne retour à la vie normale nous saisit à la gorge. Il est temps de rentrer, avec malgré tout l’agréable perspective du diaporama que l’on présentera ce soir en héros à l’ensemble de la tribu. On pense alors avec impatience à la prochaine aventure, peut-être un zoo, ou les coulisses d’un cirque pour les plus téméraires, et on se rappelle avec attendrissement les premiers reportages maladroits, la photo de la girafe sans tête ou encore le bonobo faisant mauvais usage du trépied qu’il avait réussi à chiper. Quel chemin parcouru depuis !
Devenir reporter animalier en quatre étapes
1. Choisissez votre lieu de visite favori, le plus touristique possible.
2. Suivez le troupeau de près. Attention à ne pas vous faire repérer, ce qui devrait être relativement simple dans une foule dense.
3. Prenez un maximum de photos. Focalisez-vous sur les spécimens munis d’un appareil photo, ou à minima d’un smartphone.
4. Publiez-les ! Ou envoyez-les moi : elles feront l’objet d’un article regroupant les plus insolites.
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